27 novembre 2006

L’expression du jour : faire long feu

L’expression que tout le monde utilise mais dont peu connaissent la véritable signification du jour est « faire long feu ». Elle a la particularité d’exister à la fois sous sa forme positive et sous sa forme négative, poussant d’aberrants dadais n’en connaissant qu’une variante à critiquer doctement l’emploi de l’autre forme. Les fats.

Comme chacun sait, l’expression trouve son origine dans l’artillerie : une balle qui fait long feu est une balle dont la poudre brûle longuement au lieu d’exploser. Au sens figuré, on pourra alors dire qu’une tentative a fait long feu pour signifier qu’elle n’a pas eu le succès escompté ; au contraire on pourra dire qu’un combattant n’a pas fait long feu pour qualifier sa défaite de surprenamment rapide.

26 novembre 2006

De la conjugaison avec après que

Ne t’enfuis pas séance tenante, cher lecteur ! Super Pédant Man n’est pas là pour te rebattre les oreilles lorsque tu utilises le subjonctif après après que. Ou pour être plus précis, pas uniquement.

Car si d’exaspérants moralisateurs prennent un malin plaisir à critiquer tour à tour l’emploi du subjonctif et de l’indicatif, ces derniers crient souvent simultanément à la face du monde leur incapacité à maîtriser une notion acquise à l’école primaire : la concordance des temps. Il y a fort à parier qu’il s’agit des mêmes jean-foutre qui se croient futés en corrigeant l’accent grave sur le mot évènement (alors que cette orthographe, en plus d’être tout à fait correcte, est bien plus cohérente puisque concordant avec la graphie du mot avènement ; n’hésite pas à conchier en retour ces obtus gourdiflots).

Ayant peine à admettre que la compréhension en semble si ardue, Super Pédant Man te livre une règle simple, valable pour toutes les expressions, que ce soit immédiatement après que, peu de temps après que, deux semaines après que ou sept milliards d’années après que et dont voici la teneur :

Une fois que, quand et lorsque doivent pouvoir se substituer aux expressions en après que.

Les règles élémentaires de la pédanterie enjoignant malheureusement à énoncer précisément même ce qui tombe sous le sens, bien entendu le sens des phrases change sensiblement, et cette substitution ne saurait intervenir qu’à des fins grammaticales. La simplicité de la conjugaison dans les phrases suivantes est pourtant d’une affligeante évidence :

Je fais souvent une sieste une fois que j’ai mangé.

Elle a refermé la porte lorsqu’il est parti.

Vois-tu ci-dessus la moindre trace de fut, eus, aie, aurais eu, fût, eût été ou autres délires obsessionnels grammaticaux ? Non, et c’est bien normal. Alors pourquoi, pourquoi semble-ce une gageure démesurée d’appliquer les mêmes règles de conjugaison à après que ? Faisons ensemble cet exercice d’une étonnante complexité, ami lecteur :

Je fais souvent une sieste dix minutes après que j’ai mangé.

Elle a refermé la porte juste après qu’il est parti.

Bravo, ce n’était pourtant visiblement pas une mince affaire, tant l’insulte faite à cette règle semble répandue.

Il est cependant temps d’ouvrir une parenthèse lacrymale et d’observer avec résignation que, tel un furoncle putrescent à la face de notre langue, l’emploi du subjonctif — que Le Bon Usage promet irrésistible — en lieu et place de l’indicatif est de plus en plus fréquent :

Je fais souvent une sieste dix minutes après que j’aie mangé. (beurk !)

Elle a refermé la porte juste après qu’il soit parti. (pouah, caca !)

Soit. Pour tout horrible qu’il soit, force est de constater que cet usage, par confusion avec avant que, fait chaque jour de nouveaux émules. Mais c’est un emploi que peu maîtrisent, le subjonctif passé n’étant pas affaire de candides débutants, et qui mène parfois aux saugrenues élucubrations d’ineptes butors se souvenant vaguement que l’indicatif est de mise dans ces constructions mais peinent à trouver le bon mode, tant l’école primaire doit leur paraître lointaine :

Je fais souvent une sieste dix minutes après que je mange. (bof !)

Elle a refermé la porte juste après qu’il fut parti. (non !)

Dans la première phrase l’emploi du présent au lieu du passé composé fait disparaître la notion de terminaison, et on se demande bien s’il s’agit de dix minutes après le début, la fin ou le milieu du repas. Dans la seconde phrase, on assiste à une violation flagrante de la concordance des temps qui n’a absolument aucune justification. Ces incohérents gribouillis sont légion même dans la littérature et leurs auteurs devraient se trouver des grammaires, leurs éditeurs des correcteurs et leurs lecteurs des ouvrages plus sérieux. Ces phrases sont d’ailleurs souvent l’œuvre de relecteurs dérapant lamentablement en croyant bien faire.

L’usage du subjonctif, même correctement, n’est pas sans inconvénient, notamment en raison de l’abyssale pauvreté sémantique qu’il introduit, ayant deux fois moins de temps que l’indicatif. L’absence de subjonctif futur permet d’exhiber un exemple flagrant de cet appauvrissement :

Si j’avais plus de temps, je ferais une sieste après que j’aurai mangé.

Si j’avais plus de temps, je ferais une sieste après que j’ai mangé.

La première phrase signifie que je vais manger, et que malheureusement je n’aurai pas le temps de faire une sieste après. La seconde phrase introduit une notion d’habitude : lorsque je mange, je n’ai jamais le temps de faire une sieste après. Utiliser le subjonctif ici transformerait à la fois aurai et ai en aie et ferait disparaître la nuance. Le rapport des barbares à la richesse est toujours bien actuel.

Cet article n’est malheureusement que château de sable face à l’océan des extravagances linguistiques dont nous sommes submergés, mais espérons qu’il aura su présenter la chose avec plus d’arguments que bien des manuels péremptoires et insipides.

25 novembre 2006

Le genre du jour : hémisphère et planisphère

Comme bien sûr sphère, la plupart des mots en -sphère sont féminins : une atmosphère, une ionosphère, une lithosphère, une mésosphère, une stratosphère, une thermosphère, une troposphère. Ce qui est, sinon logique tant la logique est à exclure de toute observation linguistique, du moins bien pratique.

Seuls deux mots, remarquables intrus, échappent à la série : un hémisphère et un planisphère. Il est aisé de s’en souvenir, puisqu’étant respectivement une moitié de sphère et une projection plane, ce sont les deux seuls à ne pas être des sphères !

Le pédantisme n’ayant pas de limite disciplinaire, rappelons que les autres -sphères ne sont pas très sphériques non plus : notre planète, vague patatoïde grumeleux, est un sphéroïde. En mathématiques, le solide sphérique est une boule, et la sphère n’en est que la surface. Il n’y a malheureusement pas de mot pour désigner les coquilles sphériques telles l’atmosphère, qui sont à la boule et la sphère ce qu’en géométrie du plan la couronne est au disque et au cercle.

24 novembre 2006

Le mot pédant du jour : controuver

Super Pédant Man te livre aujourd’hui un mot rare mais magnifique, à l’étymologie complexe et confuse, aspirant de surcroît à de sybarites contrepets et dont il espère que tu feras usage avec emphase et démesure dans force cafés mondains.

Utilisé comme verbe transitif, controuver signifie mentir, inventer une chose fausse : « On controuvait maintes allégations à son sujet ». Mais utilisé comme attribut du sujet, il signifie avoir été révélé comme étant erroné : « Les allégations à son sujet étaient rapidement controuvées ».

21 novembre 2006

L’expression du jour : bayer aux corneilles

Oui lecteur, ébaubis-toi adonc devant la graphie de l’expression que tout le monde utilise mais dont peu connaissent la véritable signification du jour : « bayer aux corneilles ». Même si le sens est proche, bayer n’est pas bâiller (et encore moins bailler, béotiens ignares).

De grotesques mélanges ont en effet mené à la confusion voire à l’interchangeabilité entre bayer (s’ouvrir) et bâiller (être ouvert). Il reste cependant une forte connotation de changement d’état dans le premier : l’on dira donc mieux « La porte baya » et « La porte bâillait ».

Mais ouvrir la bouche involontairement lorsqu’on est fatigué, c’est bâiller, et rester la bouche ouverte d’admiration, c’est bayer : lorsque le sujet est la bouche, l’expression du mouvement se retrouve dans le premier et l’immobilité dans le second ! Enfin bayer aux corneilles signifie simplement regarder en l’air oisivement, bouche bée.

Quant à bailler, que le lecteur fidèle ou érudit saura bien entendu différencier du précédent, il signifie prêter ou donner (d’où le bailleur de fonds).

15 novembre 2006

Le genre du jour : réglisse

Alors, un ou une réglisse ? La réponse n’est pas si simple, mais Super Pédant Man n’abdique devant aucun défi, surtout lorsqu’il s’agit de raviver les encéphales fangeux de son lectorat.

La plante, c’est indubitablement la réglisse, inutile de tergiverser. C’est en raison des produits dérivés — bâton de réglisse, bois de réglisse, suc de réglisse, racine de réglisse &mdash tour à tour féminins et masculins que par métonymie l’on dira indifféremment manger un réglisse (pour un bâton de réglisse) ou manger de la réglisse suivant les régions voire les individus.

De toute façon Super Pédant Man déteste la réglisse et a d’ailleurs rarement éprouvé un breuvage aussi nauséabond que le Salmiakki Koskenkorva, infâme macération aussi finlandaise que fétide de vodka et de réglisse au chlorure d’ammonium. Si.

14 novembre 2006

L’expression du jour : boute-en-train

L’expression que tout le monde utilise mais dont peu connaissent la véritable signification du jour est « boute-en-train ».

Le boute-en-train c’est ce blagueur de soirée, ce matassin des temps modernes, cet éternel farceur, souvent prénommé Gérard et qui met tout le monde de bonne humeur :

Ah, ce Gérard, quel boute-en-train !

Mais étudions un peu ce que dit le dictionnaire du sens premier de ce mot :

boute-en-train (subst. masc. et adj.) Mâle placé au voisinage des femelles à l'effet de les mettre en chaleur et de les disposer à l'accouplement.

Ainsi le boute-en-train n’est-il donc que cette piètre rosse, cette haridelle que l’on envoie amuser la jument avant l’arrivée de l’étalon. Gageons que les laudateurs de la maxime femme qui rit… y réfléchiront à deux fois avant de jouer le boute-en-train de la soirée !

13 novembre 2006

Le genre du jour : anagramme et épigramme

Les mots en -gramme sont habituellement masculins : dans le domaine médical (un cardiogramme, un électrocardiogramme, un électroencéphalogramme), des poids et mesures (un milligramme, un centigramme, un gramme, un hectogramme, un kilogramme), artistique et technique (un diagramme, un hologramme, un idéogramme, un organigramme, un parallélogramme) ou de l’écriture (un monogramme, un programme, un télégramme, un cryptogramme)…

Il en est cependant deux, mesquins et fourbes, traîtreux et sournois, qui s’évertuent à être féminins : une anagramme (mot ou phrase composé avec les lettres d’un autre mot ou phrase) et une épigramme (petit texte tantôt drôle, tantôt acerbe, souvent posthume). Ne retenez donc que ceux-là ! Le lecteur pourra s’apitoyer de la fréquence des emplois incorrects du premier, mais apprécier avec goût qu’une épigramme d’agneau désigne aussi un ragoût d’agneau au blanc. L’histoire raconte d’ailleurs que l’origine de ce mot serait due à une confusion malheureuse d’un familier du roi n’entendant que pouic aux choses de lettres.

12 novembre 2006

L’expression du jour : en grande pompe

L’expression que tout le monde utilise mais dont peu connaissent la véritable signification du jour est « en grande pompe ».

Car si tout le monde sait qu’elle signifie « avec force solennité, petites fleurs en boutonnière et pompes cirées » et se doute qu’il y a autant de rapport entre les pompes cirées et la grande pompe qu’avec la pompe à essence du coin, le mot pompe dans cette acception reste bien méconnu.

La pompe qui nous intéresse ici est d’origine latine et vient tout simplement de pompa, le cortège. Il a alors donné « en grande pompe » mais aussi les pompes funèbres (de pompa funebris) et l’adjectif pompeux. On s’amusera au passage de ce que la pompe (chaussure) et la pompe (à essence) ont une étymologie toute autre mais néanmoins commune, que l’on soupçonne onomatopéique et issue du néerlandais.

11 novembre 2006

Le mot à bannir du jour : crypter

Un ébahissement stupéfait risque d’en saisir beaucoup, mais il est inutile de se voiler la face plus longtemps et temps d’admettre avec humilité qu’à l’instar du Père Noël, de la petite souris et du compte de Chirac au Japon, le mot crypter n’est que grotesque illusion et paréidolie captieuse. Bref, il ne devrait pas être employé et dans bien des cas le verbe chiffrer conviendrait mieux. Exeunt de même crypteur et cryptage, n’ayant pas gardé les cochons ensemble.

Pourquoi cet emploi bouffon ? De saugrenus énergumènes auront sans doute un jour décidé qu’à l’image du couple chiffrer - déchiffrer l’on pouvait construire un pendant au verbe décrypter, qui lui existe bel et bien et désigne le décodage d’un message dont on ne connait pas la clé. La confusion est entretenue par l’anglais dont le champ lexical est plus fourni avec les verbes code, encode, cipher, cypher, encipher et surtout encrypt.

Il y a fort à parier que, le temps et l’emploi aidant, ce verbe et ses dérivés apparaissent dans notre langue. Mais en l’état, l’étiquette et les convenances, de même que les cryptologues pourtant bien prompts à emprunter nombre absurdités à l’anglais, demandent à ce que l’on emploie chiffrer pour le codage d’un message, déchiffrer pour son décodage grâce à la clé et décrypter pour son décodage sans clé.

07 novembre 2006

Tûrlûtûtû, châpêâû pôîntû

Pauvre accent circonflexe, à qui notre sénescente mais néanmoins imputrescible Académie tente de faire la peau ! Ainsi depuis 1990 il disparaît (pardon, disparait) des i et u de la plupart des mots, et l’on n’écrit plus « je dînais goulûment d’huîtres des îles et me soûlais de moût à m’en dégoûter » mais « je dinais goulument d’huitres des iles et me soulais de mout à m’en dégouter ». Pauvre accent circonflexe !

Fort heureusement, le lecteur diligent aura non seulement observé que les plus rétrogrades et nostalgiques d’entre nous ont tout loisir de s’asseoir (pardon, s’assoir) sur les recommandations académiciennes puisque l’orthographe précédente demeure valide jusqu’à nouvel ordre, mais aussi qu’inébranlable, l’accent circonflexe subsistait sur bien des mots tels sûr, afin de ne pas entretenir de confusion avec sur (sucré), tant il est vrai que sinon, et seulement sinon, ce serait la margaille et le cafouillis dans notre belle langue.

Super Pédant Man ne tient pas à prendre parti pour ou contre la réforme de 1990 car son dictionnaire de synonymes n’a pas les gros mots. En revanche une piqûre (pardon, piqure) de rappel au sujet des mots où il est vraiment important de ne pas oublier l’accent ne ferait pas de mal. Ou sinon ce serait pour ton bien, cher lecteur.

Il faut donc, et tout d’abord, ne pas oublier l’accent dans les terminaisons de conjugaison :

  • au passé simple, première et seconde personnes du pluriel :
    • « vous aviez de belles chaussures, vous les mîtes » (ça tombait bien, il faisait froid dehors) mais « vous aviez de belles chaussures, vous les mites » (les hannetons sont très jaloux),
    • « ils falsifiaient la TVA, et nous les surprîmes » (les faquins, ils furent bien punis) mais « ils falsifiaient la TVA, et nous les surprimes » (les maroufles, ils œuvraient en bande organisée),
    • et partout ailleurs, toujours, toujours : « vous primâtes Lucie », « nous mîmes Marcel au courant », « vous chûtes, Victoria ? »… ;
  • à l’imparfait du subjonctif, troisième personne du singulier :
    • « Marius annonça un 100 cœur, il était plus sûr que l’autre contrât » (plutôt que de surenchérir) mais « Marius annonça un 100 cœur, il était plus sûr que l’autre contrat » (un peu hasardeux, 80 trèfle),
    • et partout ailleurs, toujours, toujours : « pour que Matthieu béât, il fallait que Thierry bût avant que Rocco ne le vît »… ;
  • … sauf les verbes amuïr, haïr et ouïr dans lesquels le tréma l’emporte sur le circonflexe dans la conjugaison (nous haïmes, qu’il amuït). Pauvre accent circonflexe !

En plus des conjugaisons particulières, l’accent circonflexe est important dans l’orthographe de bien des mots :

  • sur î et û lorsque la confusion avec un autre mot est possible :
    • si tout le monde a eu l’occasion d’aller en boîte, peu connaissent boite, un très joli mot qui désigne une bonne vieille piquette ; faire couler la boite prend alors un tout autre sens !
    • « il a tué sa deuxième victime au crépuscule, il comparaît à l’aube » (et on ose dire que la justice est lente) mais « il a tué sa deuxième victime au crépuscule, il comparait à l’aube » (la luminosité, ça change tout),
    • « l’homme qui a crû au paradis », c’est Adam ; « l’homme qui a cru au paradis », il a fait un pari audacieux (et si, déçu, il n’y croit plus, l’autre, déchu, n’y croît plus, chacun sa croix),
    • « c’était le mois dernier, vous dîtes n’importe quoi » (vous étiez bourré) mais « c’était le mois dernier, vous dites n’importe quoi » (vous êtes bourré),
    • « j’ai encore souper dans la cuisine » (le salon était en bordel) mais « j’ai encore du souper dans la cuisine » (ces morfals en ont laissé),
    • « toute cette neige… voilà une belle ligne de faîte ! » (les Vosges sont magnifiques en hiver) mais « toute cette neige… voilà une belle ligne de faite ! » (la drogue, ce danger permanent),
    • « elle se rendit malade en vidant la bouteille, comme lui le fût auparavant » (quelle descente) mais « elle se rendit malade en vidant la bouteille, comme lui le fut auparavant » (ça aurait dû lui servir de leçon),
    • « le jeûne est dangereux pour les vieux » (goitre, crétinisme et tutti quanti) mais « le jeune est dangereux pour les vieux » (le respect se perd),
    • « tu peux remettre les fruits à l’intérieur, les murs sont assez sûrs » (personne ne va les chaparder) mais « tu peux remettre les fruits à l’intérieur, les mûrs sont assez surs » (inutile de les laisser pourrir),
    • « je viens de rencontrer Alice, elle paraît une belle jeune fille » (contrairement au trumeau annoncé) mais « je viens de rencontrer Alice, elle parait une belle jeune fille » (vive la mariée),
    • enfin, rien à voir avec les nouvelles recrues, l’adjectif méconnu recru signifie épuisé, et l’encore plus obscur recrû désigne les petites pousses qui se développent après le nettoyage d’un taillis ;
  • sur â, ê et ô parce qu’une confusion est toujours possible :
    • « il supporte les railleries comme elle le bât » (ils sont tous les deux à plaindre) mais « il supporte les railleries comme elle le bat » (quelle mégère),
    • il y a lieu de distinguer la chasse, activité sanguinaire grotesque, la chasse d’une voiture qui dérape, la châsse (coffret renfermant une relique) et le châsse, terme argotique pour désigner l’œil,
    • le verbe cocher peut aussi s’écrire côcher lorsqu’on parle d’un oiseau couvrant sa femelle,
    • « mon côlon est malade et ne peut se remettre » (j’ai abusé sur les piments hier) mais « mon colon est malade et ne peut se remettre » (George Sand, La Petite Fadette ; on parle ici d’un exploitant agricole),
    • « ce cheval est un habitué des grosses côtes » (il s’ennuierait dans les Landes) mais « ce cheval est un habitué des grosses cotes » (il faut parier sur lui),
    • « que feraient les charpentiers sans forêts ? » (sans doute de l’aggloméré minable) mais « que feraient les charpentiers sans forets ? » (leurs perceuses en seraient contrites),
    • le genêt est la plante à fleurs jaunes bien connue mais le genet désigne une race de chevaux d’Espagne,
    • « ils ont mâté la Marie-Céleste, désormais bien halée au vent » (ah, les boucaniers sur les vergues !) mais « ils ont maté la Marie-Céleste, désormais bien hâlée au soleil » (ah, la boucanière…), et si Ulysse était attaché au mât, les joueurs d’échecs sont plutôt attachés au mat,
    • « soirée de soul, mâtinée de jazz » (un mélange de genres) mais « soirée de soul, matinée de jazz » (et beaucoup de café pour passer la nuit),
    • « ils préparent les clous de girofle et nous les mêlons au porto » (ce cocktail s’appelle le bishop) mais « ils préparent les clous de girofle et nous les melons au porto » (chacun son truc),
    • « ils recrutaient pour les drames nôs comiques » (le est un genre théâtral nippon) mais « ils recrutaient pour les drames nos comiques » (notre troupe a du succès),
    • « c’était un gros pâlot, elle n’avait plus envie » (toujours demander la photo avant) mais « c’était un gros palot, elle n’avait plus envie » (épuisants, ces exercices respiratoires),
    • « nous déjeunons en forêt de Rambouillet, on va rôder » (tels les jeunes désœuvrés) mais « nous déjeunons en forêt de Rambouillet, on va roder… Il se reprit : — Nous allons roder la voiture, vous comprenez » (Colette, Colin),
    • le rot du bébé et des adultes très malpolis, homographe du rot (dont le t se prononce) désignant un groupe de maladies de la vigne, ne doit pas être confondu avec le rôt, vieux mot qui désigne entre autres le service suivant les potages dans les grands repas,
    • « je fais toujours les tâches de merde ! » (café, photocopies…) mais « je fais toujours les taches de merde ! » (on ne veut pas savoir les détails),
    • « un seul mot de vous et je serai vôtre incontinent » (on savait se déclarer, au xviie) mais « un seul mot de vous et je serai votre incontinent » (encore une tâche de merde) ;
  • … sur â, ê et ô toujours et toujours, même s’il n’y a pas confusion orthographique possible.

Super Pédant Man espère que ces exemples ont pu te convaincre, cher lecteur, de l’importance indicible de notre bon vieux chapeau et que celui-ci ne sombrera pas dans la décrépitude comme s’y attellent de sadiques fomentateurs. Pauvre accent circonflexe !

Cet article est dédié à la mémoire de Jacques Cellard, à qui Super Pédant Man voue une admiration démesurée, et tout particulièrement en hommage à son « Je rêvais d’une femme qui fût belle ».

Le mot capricieux du jour : occurrence

Grâce à ses deux doublements de consonne, occurrence est sans conteste l’un des mots français les plus communément estropiés de l’Internet. À la différence de transparence, sans référence à inférence et par cohérence avec récurrence et concurrence, ce mot prend deux r. Alors halte à l’irrévérence, cessez cette ingérence dans l’apparence des mots !

Notons que ces mots en -currence ont exactement la même orthographe en anglais, et rassurons-nous en observant que le carnage orthographique n’est pas une spécialité francophone.

06 novembre 2006

Le mot à bannir du jour : flashmob

Le mot flashmob, désignant des rassemblements éclair, quintessence du grégarisme que d’aucuns décrivent volontiers — hélas davantage par jobarderie que par raillerie — comme des « foules intelligentes », n’avait pas vraiment lieu d’apparaître en français. En effet il existe dans notre belle langue, et ce depuis des siècles, un mot magnifique qui décrivait déjà à merveille ces manifestations et que nous livre le Trésor de la Langue Française informatisé :

chienlit (subst. fém.) Mascarade désordonnée et gueuse

Comme souvent, il n’était donc pas nécessaire d’emprunter à l’anglais pour enrichir notre vocabulaire. Pour paraphraser un mot de De Gaulle : « La flashmob non, la chienlit oui ! »

05 novembre 2006

Le mot capricieux du jour : miroir

À l’instar de trafic, en français, miroir ne double pas sa consonne. C’est une évidence pour quiconque a lu Blanche Neige étant jeune, mais force est de constater que nombre gougnafiers malpropres et malodorants persistent à étriller ce mot, sans doute en raison de la proximité de l’anglais mirror.

C’est l’anglais qui a doublé le r depuis le vieil anglais mirour (empruntant lui-même au vieux français mireor, issu du latin mirari). Mais en français, toujours et encore un seul r, comme dans tiroir et mouroir.

Le mot pédant du jour : irréfragable

Écrasez vos interlocuteurs de soirée mondaine sous leur propre ignorance avec ce mot bien pédant comme il faut. Venant du vocabulaire latin électoral (refragari, « s’opposer à »), irréfragable peut s’utiliser en lieu et place de irréfutable, indéniable, irrécusable, incontestable :

Il avait pour argument un BFG et 200 d’armure. Irréfragable.

On peut bien entendu construire irréfragablement pour davantage de pédanterie gratuite.

04 novembre 2006

Le mot capricieux du jour : trafic

Incongruité étymologique ou évolution logique, trafic s’écrit en français avec un seul f, au contraire de l’anglais. Au vu des occurrences de la faute sur Internet, un petit rappel ne fera vraisemblablement pas de mal.

Comme pour beaucoup de mots de même origine, la différence orthographique entre l’anglais et le français s’explique simplement par l’évolution parallèle des deux langues. Dans le sens « commerce clandestin, activités occultes » le français a emprunté ce mot à l’italien traffico dès le xive siècle, qui s’écrivait alors traffic, puis successivement traffique (xve), trafique (xvie) et enfin trafic (xviie). De son côté, l’anglais a emprunté traffico à la même époque, et si la graphie de son traffic n’a pas changé avec les siècles, en revanche son sens a évolué et au xixe il existait aussi pour dire « flux de personnes, de véhicules ». Il a alors été réimporté en français tout en adaptant son orthographe au mot trafic déjà existant.

Trafic a donc connu une double évolution graphique et sémantique dans deux langues différentes, qui se sont rejointes six siècles plus tard. Une si belle aventure, vous n’allez plus écorcher ce mot, maintenant, hein ?